Qu’est-ce qui vous a poussé à faire revivre ce personnage de Khâemouaset, fils de Ramsès II, connu quasiment des seuls spécialistes ?
Lorsque j'ai commencé à réfléchir au scénario des Terres d'Horus, je savais seulement que cela se passerait sous le règne de Ramsès II ( surtout pour des raisons pratiques, cette période étant relativement bien connue: on trouvait donc assez facilement de la documentation, chose importante pour moi), et que l'héroïne devait évoluer dans le cercle royal sans avoir des fonctions de prestige, mais plutôt un métier. Mon côté féministe. J'ai donc enquêté sur les princes ayant des fonctions officielles et Khâemouaset, avec sa réputation de prince-archéologue (notion inconnue dans l'Egypte antique) m'a tout de suite séduite... Autre avantage, le nombre d'objets découverts lui ayant appartenu: cela le rendait immédiatement plus proche!
Avez-vous visité le département des Antiquités égyptiennes du Louvre qui conserve un ensemble exceptionnel de monuments de ce prince ?
Oui, tout à fait. De toute façon, j'ai visité la section des Antiquités égyptiennes en long, en large et en travers: ça me fait toujours autant rêver!
A travers différents passages de la BD, on voit bien que vous avez tenu compte d’aspects historiques, notamment le fait que K. ait travaillé sur des monuments de rois de l’Ancien Empire. Où avez-vous cherché des renseignements concernant Khâemouaset ?
Lorsque je me suis penchée sur le règne de Ramsès II, j'ai acheté le livre de Christiane Desroches-Noblecourt, Ramsès II, la véritable histoire, et celui de Christian Leblanc, Nefertari. Dans les deux ouvrages, il y a de longs passages sur Khâemouaset, qui a marqué le règne de son père...
Et puis j'ai agrandi ma bibliothèque, notamment avec le catalogue de l'expo " Des dieux, des tombeaux, un savant" (en Egypte, sur les pas de Mariette pacha), qui présentait pas mal d'objets ayant appartenu (ou étant attribués) à Khâemouaset... Il ne faut pas oublier que j'ai commencé la série au début des années 2000, à une époque où avoir un ordinateur à domicile etun accès à Google, Wikipedia, etc, n'allait pas encore de soi !
Pour les portraits de Ramsès II, de quoi vous êtes-vous inspirée ? De sa momie, des statues et reliefs le montrant. Qu’en est-il pour K. qui apparaît jeune sur les œuvres connues et dont nous n’avons pas la momie ?
Tout le monde a une image prédéfinie de Ramsès, car tout le monde a en tête la photo de sa momie: émacié, le nez busqué...Même si des études ont prouvé que le roi était plutôt replet et que son nez avait été cassé lors de l'embaumement, je ne pouvais pas aller contre l'imagerie populaire: il fallait qu'on " reconnaisse" mon Ramsès. Le fils a été victime de la célébrité photogénique de son père: je lui ai accentué le nez busqué, dont j'ai fait une particularité familiale; je l'ai dessiné assez charpenté, car il était dans la force de l'âge, et il fallait qu'il y ait une nette différence avec Iméni, plus jeune. Ah, oui: j'ai aussi volontairement oublié l'iconographie officielle, très formatée, et le masque funéraire en or, trop peu "glamour", et dont on ne sait même pas avec certitude s'il a bien appartenu à Khâemouaset...
Dans la première histoire, il est question de sacrifices humains perpétrés par des adorateurs de Seth. Qu’est-ce qui vous a donné cette idée alors que l’on sait que les anciens Egyptiens ne pratiquaient pas de tels sacrifices depuis longtemps ?
Ils avaient même dû être oubliés.
C'est bien parce que les égyptiens ne pratiquaient pas de sacrifices humains que j'ai choisi cette thématique: à l'époque de la genèse des Terres d'Horus, beaucoup de gens croyaient encore qu'au moment d'inhumer le roi défunt, les égyptiens passaient tous les ouvriers, esclaves et favorites par le fil de l'épée... Pour battre cette croyance en brèche, j'ai inventé une secte déviante, ce qui montrait par contraste l'horreur ressentie par les égyptiens devant de tels actes!
Vous insistez sur les croyances des personnages, importantes chez les petites gens mais également chez K. Avez-vous lu un ouvrage sur la religion qui aurait insisté sur les croyances personnelles ?
En fait, toute la société égyptienne (comme, d'ailleurs le reste du monde!) m'a paru empreinte de croyances, qui offraient un début d'explication et donc de pouvoir sur les choses et les événements... Côté livres, j'ai compulsé "rites et croyances d'éternité", d'Isabelle Franco, et j'ai régulièrement cherché des infos dans le dictionnaire de la civilisation égyptienne, de Guy Rachet. Il y a certainement eu, depuis, des publications plus récentes, mais ces deux titres m'ont bien aidé!
J'aimerais également savoir ce qui vous a inspiré pour l’architecture, d'autant plus que vous n'avez pas choisi le plus simple, la ville de Pi-Ramsès étant assez mal connue.
J'avais opté pour le règne de Ramses II, pour la qualité des informations disponibles, mais en effet, concernant Pi-Ramses, c'était la cata! Dès que j'ai pu, je me suis rabattue sur les reconstitutions de Jean-Claude Golvin, (Son Guide de l'Egypte Ancienne ne m'a pas quittée lors de mes voyages sur place!) et j'ai extrapolé, avec plus ou moins de bonheur, au départ; les années et les albums passant, le nombre de mes contacts scientifiques et les sites spécialisés sur internet ont augmenté, me facilitant la tâche!
Vous m'avez indiqué que vous faisiez de la couleur directe sur vos planches, le faites-vous habituellement ? Le choix des couleurs vous a-t-il été inspiré par des clichés des monuments ou par des dessins de relevés ?
Effectivement, mes planches sont en couleur directe, comme toujours; je suis allée sur place juste après le premier tome, et ce voyage a fait toute la différence, en me permettant de mieux ressentir les ambiances colorées des différents lieux (vert-bleuté près du Nil, ou cet ocre pâle et sec propre au désert...); par ailleurs, pour le premier album, je me suis inspirée de photos mais aussi de documentaires télévisuels.
Vous avez fait un voyage en Egypte, mais j'ai l'impression que c'était juste après avoir réalisé cette histoire, pouvez-vous me le confirmer ?
J'ai bien entendu le "carnet d'auteur" du Snorgleux, cela va m'aider pour vos impressions sur le pays.
Donc, oui, premier voyage juste après avoir fini le tome I, en 2000, à deux avec Pierre, tous seuls, dans le delta; second voyage, une croisière sur le Nil, avec mon éditeur ( qui nous offrait le périple, au titre de voyage de travail: nous faisions du repérage), en février 2005; troisième voyage, en 2009,à 3, avec Julien Maffre, au Caire et à Alexandrie pour jeter les bases de la trilogie du " tombeau d'Alexandre". Je peux vous donner des croquis correspondant à ces différentes visites, ainsi que Pierre, voire même Julien!